[Madame Jeanine Guérin a été enregistrée chez elle à Objat en 2008.]
– Parlez-nous de vos années de guerre.
« Mon frère n’était pas concerné par le STO parce qu’il était plus vieux mais il a fait de la Résistance dès 1942 avec l’A.S. Les réunions se passaient chez moi car mes parents tenaient un petit café-restaurant. J’étais jeune. Mon frère faisait agent de liaison. Je l’accompagnais pour donner le change. C’était lui qui faisait de la Résistance. Je me contentais de l’aider quand il le demandait Avec lui, je suis allée au « Mikado » par exemple. J’ai vu venir chez moi le général Duché, le commandant Vaujour, un Pouget de Brive, des gens de l’armée qui étaient dans la Résistance.
On me faisait capter des messages personnels à la radio lorsque des parachutages étaient prévus et je le disais à mon frère. Je me rappelle d’un message: « Mon chapeau de paille était frais »!
L’AS a eu plus de parachutages que les FTP. J’avais eu une fois un morceau de toile de parachute mais c’était juste avant le débarquement. J’avais eu des cordons aussi. Alors, on se faisait des ceintures avec ces cordons que l’on tressait. J’avais eu aussi des barres vitaminées, qui avaient la couleur du chocolat mais hélas, pas le goût. »
– Dans quelles circonstances votre père a-t-il été arrêté?
« J’ai vu mon père arrêté par les miliciens. C’était en avril 44.
Tous les pensionnaires étaient à table dans le café- restaurant. La porte s’est ouverte. Des gendarmes sont entrés et ont demandé qui était monsieur Leymarie. Mon père s’est levé. Ils lui ont dit de les suivre. Ils sont allés de l’autre côté de la route. Ils lui ont mis les menottes. Ils l’ont fait monter dans un fourgon cellulaire. Je criais après eux, je les ai traités de tout.
Ce jour-là, ils ont arrêté monsieur Aguenauer, qui était juif, et deux autres messieurs.
Fernand Chastanet a pu se cacher avant d’être amené, Henri Gautier aussi. Ils ont vu venir l’orage; ils ont pu se sauver. Heureusement, car le fourgon s’est arrêté devant chez Fernand pour fouiller la maison. Je les ai rattrapés là.
Mon père était asthmatique. Alors je suis venue lui porter un cache-nez et son appareil pour l’asthme. Je suis montée dans le fourgon. J’ai embrassé mon père. Je suis redescendue et là je suis tombée en face d’un ancien employé de la gare qui était avec les autres: il s’était engagé dans la milice. J’ai eu un choc.
Ils ont embarqué une dizaine de personnes et sont partis sans nous dire où ils allaient. »
– Que s’est-il passé alors ?
« Le lendemain, dans la cour du lycée de Brive où ils étaient parqués, on leur a montré la lettre de dénonciation d’une personne d’Objat qui avait conduit à cette descente. C’était mon frère qui était cité dans cette lettre. Ils s’étaient trompés de Leymarie.
Après, les prisonniers sont allés à Tulle. J’y suis montée avec deux autres personnes d’Objat pour essayer de les voir, dont monsieur Madesdaire qui, en allant se renseigner, s’est fait arrêter par un membre de la gestapo. Sans le savoir, il était entré dans une salle d’un café où les gens de la gestapo faisaient subir un interrogatoire à un malheureux.
Le soir même, il a été relâché, heureusement.
La prison de Tulle était pleine. Alors mon père a été envoyé dans un camp près de Limoges avec d’autres, à Saint- Paul d’ Eyjeaux. J’y suis allée. Madame Aguenauer m’accompagnait. En plus de son mari, son fils Michel, lycéen à Saint-Yrieix avait été embarqué et conduit à ce camp! Elle hurlait de désespoir en face du camp. J’avais monté un gilet à mon père et j’avais mis du beurre et du sucre dans les poches mais on les lui a confisqués alors qu’il n’avait que du chou bouilli à manger. II est resté un mois dans cet endroit. »
– Et après l’incarcération ?
« Le groupe de Guinguouin est venu libérer le camp. Ils ont ouvert les portes, n’ont pas pu rendre leurs papiers aux prisonniers mais leur ont conseillé de partir très vite par leurs propres moyens en évitant les grandes routes. Mon père est parti avec Mrs Paralieu et Semblat.
Certains, qui ont pris le train, ont été repris mais eux, sont rentrés à pied. Ils ne sont arrivés que le lendemain. Ils ont couché à Linards. Une femme qui a compris d’où ils venaient, leur a ouvert sa grange et leur a fait une omelette. Ils étaient épuisés.
Comme il n’avait plus de papier, mon père est parti se cacher pendant plus de deux mois chez Gautier à Priézac. Il n’est rentré à Objat qu’après le débarquement. »
Quand mon père a été arrêté ce jour-là, mon frère a compris que c’est lui qui avait été dénoncé. Alors, il est parti se cacher vers Saint-Cyr la Roche, dans un maquis. »
Réalisé par Mme MAURY